
Synthèse de l’article : DeMasi, A., Horger, M. N., Allia, A. M., Scher, A., & Berger, S. E. (2021). Nap timing makes a difference: sleeping sooner rather than later after learning improves infants’ locomotor problem solving. Infant Behavior & Development, 65, 101652.
Synthèse rédigée par Manuela Pietka Saillant et Marine Le Gall, Master 1 psychologie du développement, Université Paris 8.
De quelle manière la sieste peut-elle être bénéfique dans le processus d’apprentissage des nourrissons ?
Le ministère de l’Education nationale de la jeunesse et des sports a créé un site de conseils, ressources et outils concernant le bien-être des enfants. Ce ministère, conscient de l’importance des siestes dans la qualité des apprentissages des jeunes enfants, a dédié plusieurs articles à ce sujet (Ministère de l’Éducation nationale de la jeunesse, des sports et des jeux olympiques et paralympiques, 2019 ; Ministère de l’Éducation nationale de la jeunesse, des sports et des jeux olympiques et paralympiques, 2020 ; Ministère de l’Éducation nationale de la jeunesse, des sports et des jeux olympiques et paralympiques, 2022). De même, la sieste tient un rôle dans l’élaboration, le développement et le contrôle des capacités mnésiques (Walker et Stickgold, 2004).
Chez les nourrissons, la capacité de mémorisation n’est pas optimale (Karaman & Hay, 2018 ; Rovee-Collier, 1999 cité dans DeMasi et al., 2021), cependant, elle peut être renforcée par une sieste immédiate après un apprentissage. Au sein de la présente étude, DeMasi et al. (2021) interrogent la relation entre le sommeil et l’apprentissage, et son incidence sur la consolidation des informations mémorisées. Ils ont donc étudié les effets du moment de la sieste sur la résolution d’une situation problème qui implique, pour le nourrisson, des déplacements et une mobilisation de son corps pour atteindre un objectif.
L'apport de cette étude provient de son intérêt pour l’apprentissage d’une tâche qui implique la réalisation d’une séquence complexe de comportements locomoteurs chez le nourrisson. Cette performance serait susceptible d’être améliorée en fonction du sommeil car celui-ci agirait sur les fonctions exécutives, telles que l’inhibition cognitive et la planification des actions.
Intériorise-t-on mieux les apprentissages grâce à la sieste ?
Les auteurs ont émis le postulat que le sommeil favoriserait la consolidation de la mémoire s’il survenait peu de temps après l’apprentissage, c’est-à-dire sans qu’il n’y ait de période de latence entre l’apprentissage et la sieste.
Les participants de l’étude ont été recrutés selon plusieurs critères : qu’ils soient capables de marcher 10 pas d’affilé sans tomber et qu’ils aient abandonné la marche à quatre pattes depuis moins d’une semaine. En effet, il a été prouvé qu’il est difficile pour un nourrisson de passer d’une stratégie adoptée quotidiennement (posture debout) à une stratégie abandonnée (marche à quatre pattes). Cela oblige le nourrisson à mobiliser son attention pour inhiber la stratégie automatisée, tout en planifiant et maintenant l’ancienne stratégie. Les critères d’exclusion étaient les horaires de sieste non adaptées au plan de l’étude, l’excès d’agitation et les erreurs des expérimentateurs.
L’étude s’est déroulée en trois temps : un premier temps d’apprentissage, un second temps, comprenant la sieste et le temps de latence, et enfin, un troisième temps relatif à la session de test.
29 nourrissons (12 filles et 17 garçons) dont l’âge moyen était de 13,84 mois ont participé à l’étude. La moitié des nourrissons (n= 15) était assignée à la condition Sieste Immédiate et faisait une sieste, d’environ 2 heures, immédiatement après la session d’apprentissage. Ensuite, ils disposaient de 4 heures de temps de latence avant d’effectuer la session de test.
Les nourrissons assignés à la condition Sieste Différée (n= 14) disposaient de 4 heures de temps de latence après la session d’apprentissage, puis effectuaient une sieste de 2 heures environ avant la réalisation de la session de test.
Vérification des hypothèses par la tâche du tunnel
La tâche du tunnel consistait à mettre le nourrisson face à un tunnel en nylon (hauteur d’épaule de l’enfant) et à l’inviter à entrer dedans. L’objectif de la tâche pour les nourrissons était de réussir à traverser le tunnel à quatre pattes pour rejoindre l’expérimentateur.
En cas d’échec, les expérimentateurs avaient mis en place un protocole strict pour inciter le nourrisson à traverser le tunnel et évaluer son apprentissage. Le protocole comportait trois phases : la première phase consistait à mettre le nourrisson debout devant le tunnel et le laisser trouver par lui-même la manière d’entrer dedans. La deuxième phase consistait à placer le nourrisson à quatre pattes devant l’entrée du tunnel. La troisième phase impliquait que l’expérimentateur fasse rouler des balles dans le tunnel afin de montrer le chemin au nourrisson. Le parent du nourrisson se trouvait de l’autre côté du tunnel et l'encourageait à le rejoindre par des incitations verbales, des collations et des jouets, mais sans donner d’instructions pour l’aider. Pour chaque phase, les nourrissons ont bénéficié de cinq entraînements pour réaliser la tâche. Au-delà de ces cinq entraînements, la tâche était considérée par les expérimentateurs comme non acquise.
La tâche du tunnel a été administrée deux fois à chaque nourrisson : une fois au début de l’expérimentation, en session d’apprentissage, et une autre fois 6 heures après (2 heures de sieste + 4 heures d’attente) lors de la session de test.
L’évaluation de l’apprentissage locomoteur des nourrissons
Les nourrissons ont été filmés puis un score individuel relatif à leurs comportements a été obtenu en fonction de 5 critères différents : le nombre d’invitations à entrer dans le tunnel (de 0 à 15), le nombre de changements de postures exploratoires avant d’entrer dans le tunnel, le temps de latence nécessaire à l’enfant pour y entrer, le temps mis dans le tunnel et le nombre de changements de postures à l’intérieur du tunnel.
Que nous révèlent les résultats ?
Les résultats montrent que les nourrissons qui font partie du groupe Sieste Immédiate ont obtenu des scores de comportements significativement meilleurs à la session de test, comparativement aux enfants du groupe Sieste Différée, et cela uniquement pour les trois critères suivants : (i) les invitations à entrer dans le tunnel, (ii) les changements de postures exploratoires et (iii) le temps de latence à entrer dans le tunnel..
Ces résultats montrent que les nourrissons ayant dormi juste après la session d’apprentissage maintiennent mieux en mémoire la stratégie locomotrice.
Quelles conclusions pouvons-nous retenir de cette étude ?
Cette étude montre l’importance du moment de la sieste lors des apprentissages. La sieste permet ainsi de favoriser le maintien en mémoire d’une stratégie locomotrice chez le nourrisson. La mémorisation, qui est, chez eux, plus éphémère, a besoin d’une consolidation régulière avec des périodes de sommeil intermittentes afin d’éviter les oublis ou de résister aux interférences. De plus, la microstructure du sommeil des enfants d’un jeune âge est plus propice à la consolidation des apprentissages en mémoire. En effet, cette consolidation pendant le sommeil dépend de la qualité du sommeil et de la densité des ondes lentes. Or, c’est chez l’enfant que l’on retrouve le plus de sommeil profond et des ondes lentes plus puissantes (Wilhelm et al., 2013). Ces caractéristiques des enfants les rendent plus susceptibles de consolider leurs apprentissages durant le sommeil.
DeMasi et al. (2021) montrent ainsi par le biais de leur étude, qu’un délai entre l’apprentissage et la sieste, dépassant 4 heures, diminue le pouvoir de consolidation de la mémoire. Le simple fait de faire la sieste ne suffit pas à améliorer l’apprentissage d’une tâche locomotrice. En programmant de manière adéquate les siestes, les nourrissons verraient leur mémorisation et leurs fonctions exécutives évoluer positivement. Il se pourrait également que la sieste favorise la capacité des nourrissons à adapter leurs stratégies motrices en temps réel. Toutefois, pour s’en assurer, il faudrait identifier si la tâche du tunnel repose sur l’activation de la mémoire procédurale, c'est-à-dire la mémoire implicite et non intentionnelle qui nous permet d’acquérir des automatismes (Durand, 2023). En effet, en identifiant sur quel système de mémoire repose la tâche du tunnel, nous pourrons dire si, pendant cette tâche, les nourrissons se souviennent explicitement de l’action qu’ils ont entrepris lors de l'entraînement ou s’ils ont simplement adapté leurs comportements locomoteurs à la situation de manière automatisée.
Par ailleurs, augmenter la taille de l’échantillon et reproduire l’étude serait nécessaire pour la validation de ces résultats. Par la suite, si ces résultats viennent à être confirmés, la sieste pourrait devenir un outil précieux, à l’école ou chez soi, pour les enfants afin de renforcer certains types d’apprentissages.
Références
Images originales de Word et IStock Credit : be_low 476210317
DeMasi, A., Horger, M. N., Allia, A. M., Scher, A., & Berger, S. E. (2021). Nap timing makes a difference: sleeping sooner rather than later after learning improves infants’ locomotor problem solving. Infant Behavior & Development, 65, 101652.
Durand, K. (2023). Chapitre 3 : Le développement perceptif et cognitif. Le développement psychologique du bébé (0-2 ans) -2e éd. Dunod, p. 142.
Ministère de l’Éducation nationale de la jeunesse, des sports et des jeux olympiques et paralympiques. (23 avril 2020). Les bienfaits du sommeil pour les enfants. Mallette des parents. https://mallettedesparents.education.gouv.fr/parents/ID181/les-bienfaits-du-sommeil-pour-les-enfants
Ministère de l’Éducation nationale de la jeunesse, des sports et des jeux olympiques et paralympiques. (Mars 2022). Mieux dormir pour mieux apprendre. Conseil scientifique de l’éducation nationale. https://espagnol.ac-normandie.fr/IMG/pdf/csen_synthese_mieux_dormir_pour_mieux_apprendre_web.pdf
Ministère de l’Éducation nationale de la jeunesse, des sports et des jeux olympiques et paralympiques. (Février 2019). Une journée à l’école maternelle. Mallette des parents. https://mallettedesparents.education.gouv.fr
Walker, M. P., & Stickgold, R. (2004). Sleep‐dependent learning and memory consolidation. Neuron, 44(1), 121–33.
Wilhelm, I., Rose, M., Imhof, K. I., Rasch, B., Büchel, C., & Born, J. (2013). The sleeping child outplays the adult’s capacity to convert implicit into explicit knowledge. Nature Neuroscience, 16(4), 391–393
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