ADOLESCENT·E·S : OSEZ ÊTRE VOUS-MÊME !
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Rôle de la pression des pair·e·s dans le développement de l’autonomie à l’adolescence : précurseurs et conséquences à long terme

Synthèse de l’article : Allen, J. P., Costello, M. A., Stern, J. A. & Bailey, N. (2024). Beyond Delinquency and Drug use: Links of Peer Pressure to Long-Term Adolescent Psychosocial Development. Development and Psychopathology, 1-11.
Synthèse rédigée par Maëlle TOUTEE et Maëlle BOLZE, Master 2 Psychologie du Développement : Education, Troubles et Problématiques Actuelles, Université Paris 8.
Autonomie et identité à l'adolescence : Le rôle des interactions sociales et des comportements parentaux
Une étape essentielle du développement de l’adolescent·e est de construire son autonomie à travers les interactions, tout en maintenant des relations de qualité avec ses proches (Steinberg, 2019). En effet, c’est à travers ses interactions sociales que l’adolescent·e construit son concept de soi, autrement dit son identité (Rosenberg, 2017), mais aussi les bases de ses relations futures.
Toutefois, de nombreux facteurs peuvent entraver le développement de l’autonomie à l’adolescence. Parmi ceux-ci, les comportements contrôlants et restrictifs des parents peuvent induire chez leurs enfants, une fois adultes, des difficultés de régulation émotionnelle et comportementale (Loeb et al., 2019).
La pression des pair·e·s jouerait un rôle tout aussi important. Alors que l’adolescent·e s’éloigne du cocon familial pour investir son groupe de pairs, il/elle est particulièrement sensible aux normes groupales et donc possiblement exposé·e à la pression de ses pair·e·s, en particulier lorsqu’il/elle manque de soutien parental (Bailey et al., 2024). La pression des pair·e·s est même rapportée par certain·e·s comme la source de stress la plus intense dans leur quotidien (Gao et al., 2021).
Et si la pression des pair·e·s était déterminante pour le développement psychosocial ?
Selon Allen et al. (2024), la pression des pair·e·s ne décrit pas seulement une influence - consistant à se conformer aux normes de son groupe par imitation, sans qu’il soit explicitement demandé de le faire – mais également les efforts actifs mis en œuvre par les pair·e·s pour modifier le comportement d’autrui.
A court terme, l’adolescent·e pourrait tenter de limiter la pression des pair·e·s en évitant d’exprimer son désaccord, renvoyant, malgré lui/elle, le message que ces comportements sont tolérables. A long terme, il/elle pourrait considérer cette pression des pair·e·s comme normale et, une fois adulte, il/elle pourrait rejouer les scripts relationnels appris à l’adolescence en s’orientant vers des relations romantiques où son autonomie ne serait pas respectée (Allen et al., 2020).
Se pose alors la question suivante : quels sont les précurseurs de la pression des pair·e·s à l’adolescence et quelles en sont les conséquences à l’âge adulte ?
Les auteurs ont posé quatre hypothèses, (1) la pression exercée par l’ami·e proche à la fin de l’adolescence devrait être associée à des difficultés de l’adolescent·e à asseoir son autonomie lors des désaccords, (2) cette même pression devrait prédire, au début de l’âge adulte, le risque d’être exposé·e à des comportements coercitifs du/de la partenaire amoureux·se et un plus faible niveau indépendance fonctionnelle, (3) l’augmentation de la pression des pair·e·s au cours de l’adolescence devrait être prédite par des difficultés à asseoir son autonomie lors des désaccords, une faible qualité de la relation mère/adolescent·e et une difficulté à être perçu·e comme un·e compagne·on désirable pour son groupe de pair·e·s et (4) chacun de ces facteurs devrait prédire l’augmentation de la pression des pair·e·s.
Pour y répondre, Allen et al. (2024) ont étudié la trajectoire, sur onze ans, de 184 adolescent·e·s (85 garçons et 99 filles) recruté·e·s au collège (13 ans) et évalué·e·s annuellement jusqu’à l’âge adulte (24 ans).
Les auteurs ont ainsi proposé différentes évaluations longitudinales sur une période de 11 ans (voir Figure 1) :
La qualité de la relation avec la mère était mesurée avec le Inventory of Parent and Peer Attachment (Armsden & Greensberg, 1987), comprenant des questions sur la communication, la confiance ou encore l’aliénation dans la relation entre la mère et son enfant.
Afin de mesure la désirabilité sociale des pairs à 13 ans : au même âge, l’adolescent·e, son/sa ami·e proche (personne du même sexe dont il/elle se sent le plus proche, pouvant changer chaque année), ainsi que deux autres camarades du même âge, devaient nommer dix élèves de leur niveau de classe avec qui ils/elles aimeraient passer un samedi soir. L’objectif était d’évaluer dans quelle mesure l’adolescent·e était perçu·e par ses pair·e·s comme un·e compagne·on désirable (procédure inspirée de Coie et al., 1982).
La pression exercée par des pairs de 13 à 17 ans était évaluée annuellement par un questionnaire créé pour l’étude par Allen et al. (2024), comportant des items de pression sociale, comportementale (e.g., comportements déviants) et familiale.
L’autonomie dans les désaccords avec ses ami·e·s était mesurée annuellement (de 13 à 17 ans), lors d’entretiens dans lesquels l’adolescent·e et son ami·e proche devaient débattre sur un dilemme impossible (e.g., qui sauver dans un naufrage). L’autonomie était évaluée avec l’Autonomy-Relatedness Coding System for Peer Interactions (Allen et al., 2006) à partir des vidéos des échanges.
L’indépendance fonctionnelle à l’âge de 23 ans était mesurée avec le Young Adult Adjustment Inventory (Capaldi et al., 1992), questionnaire de 5 items remplis par les parents concernant le niveau d’indépendance de leur enfant à 23 ans (e.g.,“Gère bien ses finances”).
Enfin, les comportements coercitifs du/de la partenaire romantique (d’au moins 3 mois) étaient mesurés à 18, 21 et 24 ans avec la Conflict in Relationships Measure (Wolfe et al., 1998), comportant 15 items évaluant l’agressivité verbale lors des conflits (menaces, insultes et coercition).

Une pression des pair·e·s centrale dans le développement de l’autonomie de l’adolescent·e
Les résultats ont montré que les adolescent·e·s faiblement exposé à la pression de leurs pair·e·s, entre 14 et 17 ans, auraient des relations amicales plus stables. Ceux subissant une pression forte rencontreraient davantage de difficultés à affirmer leur autonomie lors de désaccords.
Par ailleurs, la pression entre 16 et 17 ans n'affecterait pas seulement leurs amitiés, mais prédirait également des comportements coercitifs des partenaires romantiques à l’âge adulte.
Globalement, les expériences de pression des pair·e·s vécues durant l’adolescence semblent prédire un plus faible fonctionnement indépendant à l’âge adulte.
Les précurseurs de ce mode relationnel identifiés ?
En général, les filles semblent plus exposées à la pression des pair·e·s que les garçons. Une plus faible qualité de la relation avec la mère serait également associée à une plus grande vulnérabilité à la pression des pair·e·s. Il en va de même pour les adolescent·e·s perçu·e·s comme moins populaires
Un autre facteur clé est la capacité d’affirmation de soi. Les adolescent·e·s de 13 ans qui peinent à asseoir leur autonomie dans les désaccords avec leurs ami·e·s proches seraient plus susceptibles de subir une pression accrue de la part de leurs pair·e·s à mesure qu’ils/elles grandissent. En revanche, ces facteurs n'expliquent qu’une partie de la variation de la sensibilité à la pression des pair·e·s.
Globalement, la pression des pair·e·s en fin d’adolescence influencerait particulièrement leur développement, suggérant que la nature des relations à la fin de l’adolescence pourrait avoir des conséquences durables sur la vie future.
Pression des pair·e·s et autonomie à l’adolescence : l’heure de se démarquer !
En conclusion, les expériences de pression des pair·e·s à l’adolescence seraient associées à des difficultés sociales préexistantes et influenceraient le développement de l’autonomie, avec des conséquences s’étendant jusqu’à l’âge adulte.
Notons que cette étude comporte quelques limites, la principale étant qu’il n’est pas possible de parler de lien de cause à effet entre pression des pair·e·s et développement de l’autonomie. D’autres facteurs seraient à étudier, comme la confiance en soi, la détresse du sujet ou encore le nombre de pair·e·s et la fréquence des comportements de pression au quotidien. Également, il n’a pas été demandé à l’ami·e proche de décrire comment il/elle exerçait sa pression (ex. pression directe ou indirecte), or cela pourrait impacter différemment le sujet. Il s’agit là d’une zone grise que de futures recherches pourraient explorer.
De telles études ouvrent néanmoins la voie à des actions de prévention des violences entre pair·e·s. Adolescent·e·s, osez être vous ! Affirmez vos opinions et entourez-vous d’ami·e·s qui sauront les respecter. Si vous vivez de la pression ou du harcèlement de la part de vos camarades, ne restez pas seul·e : parlez-en à un adulte ou appelez le 3018.
Références
Allen, J. P., Costello, M. A., Stern, J. A. & Bailey, N. (2024). Beyond Delinquency and Drug use: Links of Peer Pressure to Long-Term Adolescent Psychosocial Development. Development and Psychopathology, 1-11. https://doi.org/10.1017/s0954579424001482
Allen, J. P., Narr, R. K., Kansky, J., & Szwedo, D. E. (2020). Adolescent peer relationship qualities as predictors of long-term Romantic life satisfaction. Child Development, 91(1), 327–340. https://doi.org/10.1111/cdev.13193
Allen, J. P., Porter, M. R., & McFarland, C. F. (2006). Leaders and followers in adolescent close friendships: Susceptibility to peer influence as a predictor of peer pressure, risky behavior, and depression. Development & Psychopathology, 18, 155–172. https://doi.org/10.1017/S0954579406060093
Armsden, G. C., & Greenberg, M. T. (1987). The Inventory of Parent and Peer Attachment: Individual differences and their relationship to psychological well-being in adolescence. Journal of Youth & Adolescence, 16(5), 427–454. https://doi.org/10.1007/BF02202939
Bailey, N. A., Costello, M. A., Stern, J. A., Davis, A. A., & Allen, J. P. (2024). Adolescent responses to paternal verbal aggression: Assessing spillover and compensatory processes using random intercept cross-lagged panel models, Journal of Adolescence, 96, 1224–1238. https://doi.org/10.1002/jad.12332
Capaldi, D., King, J., & Wilson, J. (1992). Young adult adjustment scale: Unpublished instrument. Oregon Social Learning Center.
Coie, J. D., Dodge, K. A., & Coppotelli, H. (1982). Dimensions and types of social status: A cross-age perspective. Developmental Psychology, 18(4), 557–570. https://doi.org/10.1037/0012-1649.18.4.557
Gao, L., Liu, J., Yang, J., & Wang, X. (2021). Longitudinal relationships among cybervictimization, peer pressure, and adolescents’ depressive symptoms. Journal of Affective Disorders, 286, 1–9. https://doi.org/10.1016/j.jad.2021.02.049
Loeb, E. L., Kansky, J., Tan, J. S., Costello, M., & Allen, J. P. (2019). Perceived psychological control in early adolescence predicts lower levels of adaptation into mid-adulthood. Child Development, 92, e158–e172. https://doi.org/10.1111/cdev.13377
Rosenberg, M. (2017). The self-concept: Social product and social force. Dans R. Turner & M. Rosenberg, Social psychology (p. 593–624). Routledge.
Steinberg, L. (2019). Adolescence (11e éd.). McGraw Hill.
Wolfe, D. A., Wekerle, C., Reitzel-Jaffe, D., & Lefebvre, L. (1998). Factors associated with abusive relationships among maltreated and nonmaltreated youth. Development and Psychopathology, 10(1), 61–85. doi:10.1017/S0954579498001345
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