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Évolution développementale des émotions liées à la réussite en mathématiques à l'adolescence

  • dyscothequepsycho
  • 9 oct.
  • 6 min de lecture
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Synthèse de l’article : Sakaki, M., Murayama, K., Frenzel, A. C., Goetz, T., Marsh, H. W., Lichtenfeld, S., & Pekrun, R. (2024). Developmental trajectories of achievement emotions in mathematics during adolescence. Child development, 95(1),276–295. https://doi.org/10.1111/cdev.13996



Synthèse réalisée par Elisabeth HIRSCH et Anna TRITZ,  Master 1 psychologie du développement : éducation, troubles et problématiques actuelles, Université Paris 8.

Une étude pertinente dans un contexte de chute des performances scolaires

L’enquête du Programme International pour le Suivi des Acquis des élèves (OCDE-PISA) de 2023 est sans appel : le niveau global des élèves français est en recul en mathématiques, où il a baissé de 21 points depuis 2018. Et cette baisse des performances est encore plus flagrante pour les élèves issus des milieux socio-économiques défavorisés (OCDE, 2023). 

Ces difficultés se retrouvent notamment à l’adolescence, période marquée par un remaniement psychique qui se caractérise par un fort besoin d’autonomie, la hausse du jugement sur soi et l’importance donnée au regard des autres (Eccles et Roeser, 2011 ; Somerville, 2013). Or le système scolaire, en imposant un cadre strict et un système de notation propice à la comparaison, ne prend pas toujours en compte ces spécificités, alors que des études mettent en évidence l’influence des émotions sur les apprentissages. En effet, il apparaît par exemple que les émotions positives favorisent la motivation et les performances scolaires, tandis que les émotions négatives nuisent aux résultats scolaires (Pekrun et al., 2017). De plus, durant l’adolescence, le sentiment de contrôle, la valeur intrinsèque accordée aux matières étudiées et la valeur donnée aux résultats vont varier du fait du contexte culturel et scolaire (Eccles et Wigfield, 2020). 

L’étude présentée ici s’intéresse à ces spécificités adolescentes et a pour objectif de montrer comment les émotions, positives ou négatives, générées par la réalisation de tâches et les résultats en mathématiques évoluent au cours de l’adolescence et influent sur la réussite scolaire. Elle cherche aussi à déterminer le rôle des croyances de l’élève relatives à la valeur intrinsèque de la matière et le rôle du sentiment de contrôle qu’il exerce sur cette discipline.

La « control-value theory » à l’origine de l’étude 

La présente étude a choisi comme cadre théorique la « control-value theory » (CVT ; Pekrun, 2006, 2021 ; Pekrun et al., 2023) ou « théorie du contrôle-valeur des émotions d'accomplissement », qui se focalise sur les croyances et perceptions de l’individu pour comprendre la motivation et la prise de décision. Selon cette théorie, le contrôle perçu sur la matière ainsi que la valeur intrinsèque qu’on lui attribue vont influer sur les émotions liées à la réalisation.

En lien avec ces paramètres, la CVT s’intéresse aux émotions liées à la réalisation de tâches scolaires (achievement emotions), divisées en deux sous-catégories : celles liées à l’exécution de la tâche (activity emotions), c’est à dire les émotions ressenties en faisant les exercices de mathématiques, et celles liées aux résultats (outcome emotions), c’est-à-dire à la note obtenue. Les émotions mesurées sont l’anxiété, le désespoir, la fierté, la joie, la colère, l’ennui et la honte.

Cette étude pose la question suivante : quelles sont les trajectoires d’évolution des émotions liées aux apprentissages scolaires et leurs facteurs d’influence ?

Des hypothèses pour progresser dans la compréhension des changements développementaux au cours de l'adolescence

Afin de répondre à cette question, plusieurs hypothèses sont avancées :

  • Tout d’abord, au cours de l’adolescence, les émotions de fierté et de joie suscitées par les apprentissages scolaires vont diminuer et la colère et l’ennui vont augmenter.

  • De plus, la diminution du contrôle perçu, cumulée à l’augmentation de la valeur intrinsèque accordée à la matière, entraînera une augmentation importante des émotions négatives. Les émotions positives liées aux résultats diminueront moins lorsque le contrôle perçu sur la tâche et la valeur intrinsèque accordée à la matière seront maintenues.

  • La diminution de cette valeur intrinsèque entraînera une plus forte augmentation de la colère et une baisse de la joie, en particulier si le contrôle perçu diminue.

  • Enfin, une meilleure réussite (mesurée par les résultats scolaires au début de l’étude) entraînera des émotions positives plus fortes et des émotions négatives plus faibles. L’augmentation de cette réussite avec l’âge devrait être associée à une augmentation des émotions positives, tandis qu’une augmentation des émotions négatives devrait être associée à une diminution des résultats scolaires.

Une étude longitudinale de grande ampleur

Cette étude longitudinale (c'est-à-dire conduite pendant plusieurs années auprès des mêmes participants) s’appuie sur les données récoltées dans le cadre du projet PALMA (un projet d’analyse de l’apprentissage et de la réussite en mathématiques) mené entre 2002 et 2006 (Pekrun et al., 2007). Les données sont celles d’adolescents bavarois de 11 à 16 ans. Plusieurs mesures ont été réalisées au début puis à la fin de chaque année scolaire, et ce du CM2 à la troisième :

  • Les émotions liées à la réussite en mathématiques à l’aide de “l’Achievement emotions questionnaire-Mathematics" (Bieleke et al., 2021),

  • Le contrôle perçu en mathématiques, à l’aide de la “PALMA scale of percieved control”

  • Les résultats obtenus dans la discipline, à l’aide du “PALMA mathematical achievement test” (Pekrun et al., 2007).

Des résultats en accord avec la « control-value theory » 

Plus les adolescents progressent dans leur cursus et plus, en moyenne, le plaisir et la fierté diminuent, tandis que l’ennui et la colère augmentent. Par ailleurs, les émotions négatives liées à l’exécution de la tâche augmentent à l’adolescence, quand les émotions négatives liées aux résultats connaissent une évolution plus contrastée. Toutefois, lorsque les adolescents accordent un fort contrôle et de l’importance à la réalisation de la tâche, ils présentent une augmentation des émotions positives liées à son exécution et une diminution d’émotions négatives. De plus, les adolescents qui présentent un potentiel de réalisation élevé au début de l’étude reportent de plus fortes émotions positives et moins d’émotions négatives (colère et ennui), mais de plus fortes émotions négatives liées aux résultats (anxiété et honte). Enfin, si leur sentiment de contrôle se maintient, les adolescents font preuve de plus de fierté.

Ces résultats indiquent qu’il est important de s’intéresser aux effets des interactions entre le sentiment de contrôle et la valeur attribuée à la matière pour comprendre les mécanismes participants au développement des émotions liées à l’accomplissement de la tâche. Il faut noter cependant que si, en moyenne, la colère et l’ennui augmentent, la honte diminue et le niveau d’anxiété reste stable. 

Conclusion

Cette étude démontre l’importance de favoriser la valeur intrinsèque accordée à la tâche, ainsi que le sentiment de contrôle exercé sur celle-ci, car ce sont ces deux éléments qui permettent à l’élève de développer des émotions positives. Or, la diminution des émotions positives et la hausse des émotions négatives sont associées à une moindre progression des résultats scolaires. L’étude pointe aussi la nécessité d’étudier chaque émotion indépendamment les unes des autres car elles présentent des évolutions distinctes. Les auteurs indiquent que les futures recherches devront s’intéresser aux autres disciplines scolaires et aux conséquences des changements d’écoles et du contexte culturel sur l’évolution des émotions de l’élève. Mais on notera, à regret, que la composante émotionnelle des apprentissages n’est pas prise en compte dans le prochain cycle d’évaluation que l’OCDE va lancer, le PISA 10 (OECD, 2025).


Références :

Bieleke, M., Gogol, K., Goetz, T., Daniels, L., & Pekrun, R. (2021). The AEQ-S: A short version of the achievement emotions questionnaire. Contemporary Educational Psychology, 65, 101940. https://doi.org/10.1016/j.cedpsych.2020.101940

Eccles, J. S., & Roeser, R. W. (2011). Schools as developmental contexts during adolescence. Journal of Research on Adolescence, 21, 225–241. https://doi.org/10.1111/j.1532-7795.2010.00725.x

Eccles, J. S., & Wigfield, A. (2020). From expectancy-value theory to situated expectancy-value theory: A developmental, social cognitive, and sociocultural perspective on motivation. Contemporary Educational Psychology, 61, 101859. https://doi.org/10.1016/j.cedpsych.2020.101859

OECD (2023). PISA 2022 Results (Volume I): The State of Learning and Equity in Education, PISA, OECD Publishing, Paris, https://doi.org/10.1787/53f23881-en

Pekrun, R. (2006). The control-value theory of achievement emotions: Assumptions, corollaries, and implications for educational research and practice. Educational Psychology Review, 18, 315–341.

Pekrun, R. (2021). Self-appraisals and emotions: A generalized control-value approach. In T. Dicke, H. W. Marsh, R. G. Craven, & D. M. McInerne (Eds.), Self—A multidisciplinary concept (pp. 1–30). Information Age Publishing.

Pekrun, R., Lichtenfeld, S., Marsh, H. W., Murayama, K., & Goetz, T. (2017). Achievement emotions and academic performance: Longitudinal models of reciprocal effects. Child Development, 88, 1653–1670. https://doi.org/10.1111/cdev.12704

Pekrun, R., Marsh, H. W., Elliot, A. J., Stockinger, K., Perry, R. P., Vogl, E., Goetz, T., van Tilburg, W., Lüdtke, O., & Vispoel, W. (2023). A three-dimensional taxonomy of achievement emotions. Journal of Personality and Social Psychology, 124, 145–178.

Pekrun, R., vom Hofe, R., Blum, W., Frenzel, A. C., Goetz, T., & Wartha, S. (2007). Development of mathematical competencies in adolescence: The PALMA longitudinal study. In M. Prenzel (Ed.), Studies on the educational quality of schools: The final report on the DFG priority programme (pp. 17–37). Waxmann.

Somerville, L. H., Jones, R. M., Ruberry, E. J., Dyke, J. P., Glover, G., & Casey, B. J. (2013). The medial prefrontal cortex and the emergence of self-conscious emotion in adolescence. Psychological Science, 24, 1554–1562.


ILLUSTRATION : Freepik

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