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Les jeux vidéo influencent-ils nos émotions et notre identité ?

louise.pialoux

Dernière mise à jour : 4 juin 2024

Synthèse de l’article : Müller, T., & Bonnaire, C. (2021). Intrapersonal and Interpersonal Emotion Regulation and Identity: A Preliminary study of avatar identification and gaming in adolescents and young adults. Psychiatry Research, 295, 113627. https://doi.org/10.1016/j.psychres.2020.113627

Rédigée par Leïla DAGNEAUX, Master 2 Psychologie du Développement : troubles, éducation et problématiques actuelles, Université Paris 8


Et si jouer aux jeux vidéo influençait mon identité ?

« Qui suis-je ? ». Il peut être particulièrement difficile de répondre à cette question ! En effet, nous construisons notre identité au gré des expériences que nous vivons tout au long de notre vie. C’est un processus continu, qui combine exploration et engagement identitaires, d’ailleurs fortement influencé par notre environnement social et notre capacité à faire face aux défis, comme s’exposer au ridicule, à la honte, ou à d’autres émotions désagréables (Erikson, 1968). Lorsque nos émotions sont intenses, ce qui est particulièrement le cas au cours de l’adolescence, ces défis peuvent représenter un danger pour le développement psychologique (Somerville et al., 2013). Ainsi, les relations avec les pairs, qui représentent des figures d’attachement, engendrent des expériences émotionnelles marquantes qui conduisent les adolescents à développer des stratégies pour réguler leurs émotions (Allen & Manning, 2007).

Pour développer ces stratégies et se construire une identité, les jeux vidéo multi-joueurs en ligne (JML) pourraient permettre l’expérimentation de soi au travers de l’identification à l’avatar (IA), sans être directement exposé aux dangers de la vie réelle. De plus, les joueurs peuvent quitter le jeu lorsque leurs émotions deviennent trop fortes.

Une récente étude a par ailleurs montré que des adolescents présentant une addiction aux jeux avaient une plus forte activation des zones neuronales liées au concept de soi quand ils répondaient à des questions concernant leur avatar qu’à des questions les concernant (Choi et al., 2018). Ces résultats ont conduit les chercheurs de la présente étude à s’interroger sur les liens entre jeu, avatar et identité.

 

Les autres chercheurs, qu’en disent-ils ?

Parmi les études antérieures, Choi et al. (2018) montrent que les joueurs problématiques (JP) ont un niveau d’IA plus élevé que les joueurs non problématiques (JNP) ; Gaetan et al. (2016) montrent que les joueurs réguliers régulent plus leurs émotions que les non réguliers ; en revanche, Bacchini et al. (2017) considèrent que les joueurs réguliers rencontrent des difficultés dans le processus de construction identitaire. Par ailleurs, Amendola et al. (2019) montrent que plus le trouble du jeu vidéo (TJV) est élevé, plus la régulation émotionnelle est faible, celle-ci pouvant jouer un rôle de protection contre le TJV (Liau et al., 2015).

Les résultats de ces différentes études questionnent la relation entre l’utilisation des jeux vidéo, l’IA, la construction de l’identité et les capacités de régulation émotionnelle chez les individus. Toutefois, aucune recherche n’a étudié les liens entre régulation émotionnelle intrapersonnelle (RE-intra), soit la capacité à réguler ses émotions seul ; régulation émotionnelle interpersonnelle (RE-inter), soit la capacité à réguler ses émotions en demandant l’aide des autres ; et construction identitaire chez les joueurs. L’objectif de Müller et Bonnaire (2021) était alors d’examiner les relations entre régulation émotionnelle, construction identitaire, IA et utilisation des JML chez les adolescents et jeunes adultes en comparant des JP, des JNP et des non joueurs (NJ).

 

Tableau 1

Récapitulatif des différents acronymes utiles à la compréhension du texte

 

Comment ont-ils répondu à cet objectif de recherche ?

201 individus âgés de 12 à 25 ans ont participé à cette étude. Ils ont répondu à la version courte de la Game Addiction Scale (GAS ; Lemmens et al., 2009) qui comprend 7 items, le but étant de mesurer l’addiction des joueurs. Ils ont ensuite été répartis dans 3 groupes en fonction de leur score ainsi que de leur fréquence de jeu :

-        Les JP jouaient plus d’une fois par semaine et avaient 4 items minimum à la GAS ;

-        Les JNP jouaient plus d’une fois par semaine et avaient moins de 4 items à la GAS ;

-        Les NJ jouaient moins d’une fois par mois.

De plus, les participants ont complété différents instruments de mesure récapitulés dans le Tableau 2.

Tableau 2

Informations sur les instruments de mesure utilisés dans l’étude de Müller et Bonnaire (2021)


Quels résultats ont-ils obtenus ?

Concernant les émotions, les joueurs problématiques (JP) et les non problématiques (JNP) présentent des émotions positives plus élevées que les non joueurs (NJ). En revanche les JP ont des émotions négatives plus élevées que les JNP, et présentent un manque de conscience et de clarté émotionnelles plus élevé que les JNP et NJ.

Concernant la régulation émotionnelle, le TJV est associé à une moins bonne régulation émotionnelle, ce qui pourrait expliquer les émotions négatives élevées chez les JP. Par ailleurs, les JP et les JNP utilisent significativement moins de stratégies RE-inter que les NJ. Les JP considèrent les stratégies RE-inter moins efficaces, ce qui pourrait expliquer leur préférence pour les relations en ligne et leurs difficultés dans les relations avec les autres (Lo et al., 2005). Enfin, ils expriment moins leurs émotions dans le but de les réguler.

Concernant l’identité, les JP présentent des difficultés dans la construction globale de leur identité par rapport aux JNP et NJ. Ils construisent leur identité de manière inadaptée et semblent persister dans l’exploration de différentes identités par rapport aux JNP. Ils explorent également moins en profondeur leur identité par rapport aux NJ.


Les résultats ne présentent-ils pas certaines limites ?

L’une des limites que cette étude présente est qu’elle ne permet pas de déterminer les liens de cause à effet mais uniquement d’observer des associations. De plus, les auteurs n’ont pas contrôlé le biais de désirabilité sociale induit par les auto-questionnaires (biais qui consiste à vouloir se présenter de manière valorisée). Enfin, la fatigue induite par le nombre de questionnaires a pu impacter les réponses des participants. 


Finalement, que pouvons-nous retenir ?

Les JP rencontrent des difficultés dans plusieurs processus émotionnels et de construction identitaire :

-        Ils ont une moins bonne conscience et une moins bonne clarté émotionnelles, et ils inhibent davantage leurs émotions.

-        Ils ont moins tendance à utiliser des stratégies RE-intra et RE-inter.

-        Ils explorent moins en profondeur leur identité et explorent continuellement de nombreuses identités.

Cela pourrait représenter une menace pour la construction de l’identité car l’individu peut se retrouver piéger dans l’exploration sans jamais s’engager (Klimstra et al., 2012). De plus, les adolescents qui ne se construisent pas une identité forte auront probablement plus de difficultés à créer des relations intimes et stables (Erikson, 1972, cité dans Müller & Bonnaire, 2021).

Ces résultats suggèrent que l’addiction aux jeux pourrait entraîner une plus grande instabilité émotionnelle, un risque plus important de dépression et davantage de difficultés interpersonnelles se traduisant notamment par de l’évitement social. Il est important de souligner que ces résultats semblent bien suggérer que c’est l’addiction, et non pas le simple fait de jouer à des jeux-vidéos, qui entraînerait ces difficultés.

Ces résultats offrent également d’autres perspectives de travail auprès des patients, en particulier pour les hommes souffrant d’un trouble du jeu vidéo, chez qui il pourrait être utile de travailler sur la construction identitaire et les processus émotionnels. Par ailleurs, sachant que la régulation émotionnelle s'acquiert au travers de la relation d’attachement et des expériences de corégulation parent-enfant (Allen & Miga, 2010), la thérapie familiale pourrait être pertinente pour les joueurs problématiques. 

Mais une question reste en suspens, les participants ont-ils répondu aux questionnaires en fonction de leurs expériences virtuelles ou réelles ?


REFERENCES
Amendola, S., Spensieri, V., Guidetti, V., (2019). The relationship between difficulties in emotion regulation and dysfunctional technology use among adolescents. J. Psychopathol, 25,10-17.
Allen, J. P., & Manning, N. (2007). From safety to affect regulation: Attachment from the vantage point of adolescence. New Directions for Child and Adolescent Development, 2007(117), 23-39. https://doi.org/10.1002/cd.192
Allen, J. P., & Miga, E. M. (2010). Attachment in Adolescence: A move to the level of emotion Regulation. Journal of Social and Personal Relationships, 27(2), 181-190. https://doi.org/10.1177/0265407509360898
Bacchini, D., De Angelis, G., & Fanara, A. (2017). Identity formation in adolescent and emerging adult regular players of massively multiplayer online role-playing games (MMORPG). Computers in Human Behavior, 73, 191-199. https://doi.org/10.1016/j.chb.2017.03.045
Bouffard, L., Bastien, E., Lapierre, S., (1997). Validation Du PANAS (Positive Affect and Negative Affect Scales). Université de Sherbrooke: QC.
Choi, E. J., Taylor, M. J., Hong, S. M., Kim, C., Kim, J. W., McIntyre, R. S., & Yi, S. H. (2018). Gaming-addicted teens identify more with their cyber-self than their own self: neural evidence. Psychiatry Research: Neuroimaging, 279, 51-59. https://doi.org/10.1016/j.pscychresns.2018.05.012
Dan-Glauser, E. S., & Scherer, K. R. (2013). The difficulties in Emotion Regulation Scale (DERS). Swiss Journal of Psychology, 72(1), 5-11. https://doi.org/10.1024/1421-0185/a000093
Erikson, E. H. (1968). Identity, youth, and crisis. http://ci.nii.ac.jp/ncid/BA00432847
Gaetan, S., Bréjard, V., & Bonnet, A. (2016). Video games in adolescence and emotional functioning : emotion regulation, emotion intensity, emotion expression, and alexithymia. Computers in Human Behavior, 61, 344-349. https://doi.org/10.1016/j.chb.2016.03.027
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Lemmens, J. S., Valkenburg, P. M., & Peter, J. (2009). Development and validation of a game addiction scale for adolescents. Media Psychology, 12(1), 77-95. https://doi.org/10.1080/15213260802669458
Liau, A. K., Choo, H., Li, D., Gentile, D. A., Sim, T., & Khoo, A. (2014). Pathological video-gaming among Youth : A Prospective study examining dynamic protective factors. Addiction Research & Theory, 23(4), 301-308. https://doi.org/10.3109/16066359.2014.987759
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Zimmermann, G., Mahaim, E. B., Mantzouranis, G., Genoud, P., & Crocetti, E. (2010). Brief report : The Identity Style Inventory (ISI‐3) and the Utrecht‐Management of Identity Commitments Scale (U‐MICS) : factor structure, reliability, and convergent Validity in French‐speaking university students. Journal of Adolescence, 35(2), 461-465. https://doi.org/10.1016/j.adolescence.2010.11.013

ILLUSTRATION : Freepik

 

 

 

 

 


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