
Synthèse de l’article : Henderson, L., Van Rijn, E., James, E., Walker, S. M., Knowland, V. C. P., & Gaskell, M. G. (2021). Timing storytime to maximize children’s ability to retain new vocabulary. Journal of Experimental Child Psychology, 210, 105207. https://doi.org/10.1016/j.jecp.2021.105207
Synthèse rédigée par Nina FROGER et Sophia VORONTSOV, Master 1 Psychologie du Développement, Université Paris 8.
La lecture d’histoires : une alternative aux écrans, favorisant le développement du vocabulaire chez les enfants
Face à l'essor croissant de l'utilisation des écrans chez les enfants, un nouveau phénomène a récemment émergé pour se positionner comme une véritable tendance : les boîtes à histoires. Depuis 2016, plus de 1,6 millions d’exemplaires se sont vendus en France, témoignant de leur succès. Ces petits boîtiers, destinés aux enfants de 3 à 7 ans, ont un fonctionnement très simple et permettent d’écouter une infinité d'histoires différentes (Up, 2023).
En plus de constituer une alternative aux écrans, lire et écouter des histoires améliore le développement du vocabulaire chez les enfants. En effet, les contes offrent un contexte d’encodage plus riche.
Le sommeil : un moment stratégique pour renforcer l’apprentissage de nouveaux mots
Mais y aurait-il un moment de la journée où écouter une histoire serait particulièrement efficace pour l’acquisition de vocabulaire ? La littérature scientifique s’accorde pour dire que tout au long de la vie, lorsque l’on apprend une nouvelle information (par exemple un nouveau mot), une trace mnésique faible se crée. Une trace mnésique est comme une empreinte laissée par la nouvelle information dans le cerveau. Avec le temps, cette trace mnésique va être réactivée, notamment pendant le sommeil. A force d’être réactivée, la trace mnésique du nouvel apprentissage va se renforcer, jusqu’à ce que l'information soit encodée dans la mémoire à long terme. C’est par ce mécanisme que le nouveau mot finit par s’intégrer au réseau lexical (James et al., 2017).
De plus, certains auteurs proposent qu’un apprentissage juste avant de dormir serait plus efficace qu'à un autre moment de la journée. En effet, si un enfant apprend dans la journée, d’autres éléments peuvent interférer avec sa nouvelle connaissance. Alors que s’il apprend juste avant de dormir, il limite les éléments perturbateurs (Diekelmann et al., 2009). Cela serait d’autant plus vrai pour les enfants présentant un niveau de vocabulaire plus faible.
Problématique et hypothèses de l’étude
Faudrait-il faire écouter des histoires aux enfants juste avant de dormir ? La littérature reste partagée à ce sujet. Henderson et al. (2021) se penchent sur cette problématique. Ils décident d’examiner si les enfants, particulièrement ceux présentant un faible niveau de vocabulaire (c’est à dire ceux qui qui comprennent moins de mots que ce qui est attendu pour leur âge), sont plus susceptibles de retenir de nouveaux mots s’ils les entendent juste avant le coucher, plutôt qu’entre 3 et 5 heures avant de dormir.
Les auteurs émettent plusieurs hypothèses :
1) Les enfants de 5 à 7 ans reconnaissent et rappellent plus de nouveaux mots (pseudo-mots) après une nuit de sommeil qu’immédiatement après avoir entendu une histoire.
2) La lecture d’une histoire juste avant de dormir serait plus efficace pour la rétention de nouveaux mots (pseudo-mots) que de la lire dans l'après-midi.
3) Il est plus bénéfique pour les enfants qui présentent un niveau plus faible d’apprendre peu de temps avant le sommeil, que pour les enfants présentant un niveau de vocabulaire élevé.
Comment vérifier si le moment d’écoute d’une histoire impacte l’apprentissage des enfants ?
237 enfants âgés de 5 à 7 ans ont écouté une histoire lue par l’un de leurs parents. Cette histoire comprenait 12 mots inventés (pseudo-mots) associé chacun à une illustration colorée. Chaque pseudo-mot a été répété trois fois au cours de l'histoire.
Pour la moitié des enfants, l’histoire était lue au moment du coucher. Pour l’autre moitié, l’histoire était lue 3 à 5 heures avant le coucher.
Immédiatement après la lecture de l’histoire (jour 1), trois questions étaient posées à l’enfant pour vérifier s’il avait été attentif à la lecture. L’enfant devait ensuite compléter deux tâches sur une tablette ou un téléphone. Dans une première tâche de production de mots, l’enfant devait rappeler les 12 pseudo-mots de l’histoire. La première syllabe de chaque mot lui était donnée comme indice. Dans une seconde tâche de compréhension de mots, l’enfant devait retrouver l’illustration associée au pseudo-mot affiché, parmi un choix de quatre illustrations. Chaque illustration était présentée une fois comme bonne réponse, et trois fois en tant que distracteur.
Ces deux tâches étaient réalisées de nouveau par l’enfant le lendemain matin (jour 2), une heure après son réveil. À la fin de cette session, le niveau de vocabulaire de l’enfant était évalué à l’aide d’une tâche de définition dans laquelle 10 mots lui étaient présentés en ordre de difficulté croissante.
Alors, à quel moment faut-il lire une histoire à l’enfant ?
De manière générale, après la nuit de sommeil (jour 2), les enfants ont mieux rappelé et reconnu les pseudo-mots qu’immédiatement après la lecture de l’histoire (jour 1).
Pour la tâche de rappel, l’heure de lecture n’a pas influencé les performances.
Pour la tâche de reconnaissance, les enfants à qui on a lu une histoire 3 à 5 heures avant le coucher ont montré des performances plus élevées au jour 2, après une nuit de sommeil, comparé au jour 1. Les enfants à qui on a lu l’histoire au moment du coucher n’ont montré qu’une tendance à l’amélioration de leurs performances au jour 2 par rapport au jour 1.
Le niveau de vocabulaire préexistant de l’enfant peut-il influencer ses apprentissages ?
Les résultats montrent que plus un enfant a un niveau de vocabulaire élevé, plus ses performances en rappel et en reconnaissance des nouveaux mots (pseudo-mots) sont élevées.
Plus spécifiquement, les enfants qui ont une meilleure connaissance du vocabulaire ont montré des gains plus importants du jour au lendemain dans la reconnaissance des pseudo-mots de l’histoire comparé aux autres enfants.
Finalement, que recommande cette étude ?
Les résultats de cette étude s’inscrivent dans la continuité des résultats des études précédentes (e.g., Henderson et al., 2015 ; Henderson & James, 2018). L’étude présente souligne l’importance du sommeil dans l'acquisition du vocabulaire. En effet, les enfants se sont mieux souvenus des pseudo-mots après une nuit de sommeil et ils les ont encore mieux reconnus et rappelés le deuxième jour comparé au premier.
Les variabilités observées quant à la rétention des nouveaux mots seraient expliquées par la taille du vocabulaire préexistant (James et al., 2017). En effet, la recherche a montré que plus le niveau de vocabulaire était haut, meilleure était la reconnaissance des pseudo-mots.
Cependant, contrairement aux études précédentes (e.g., James et al., 2020 ; Walker et al., 2020), cette étude recommande d’exposer les enfants à de nouveaux mots 3 à 5 heures avant le moment du coucher plutôt qu’au moment du coucher. Il y aurait donc une fenêtre optimale, tard dans la journée mais pas trop près du sommeil, au cours de laquelle entendre de nouveaux mots serait bénéfique pour l’acquisition du vocabulaire chez l’enfant. Ils bénéficieraient ainsi d’opportunités d’apprentissage supplémentaires, en évoquant l’histoire lue et partagée avec leurs parents.
En appliquant ces résultats, les parents pourraient privilégier des activités de lecture partagée en début de soirée, une alternative aux écrans qui favoriserait l’apprentissage sans perturber le sommeil. La relation parents-enfant en serait ainsi renforcée, tout en réduisant le risque de trouble ou de retard du langage chez l’enfant.
Références :
Diekelmann, S., Wilhelm, I., & Born, J. (2009). The whats and whens of sleep-dependent memory consolidation. Sleep Medicine Reviews, 13, 309–321.
Flack, Z. M., Field, A. P., & Horst, J. S. (2018). The effects of shared storybook reading on word learning: A meta-analysis. Developmental Psychology, 54, 1334–1346.
Henderson, L., Devine, K., Weighall, A., & Gaskell, G. (2015). When the daffodat flew to the intergalactic zoo: Off-line consolidation is critical for word learning from stories. Developmental Psychology, 51, 406–417.
Henderson, L., Van Rijn, E., James, E., Walker, S. M., Knowland, V. C. P., & Gaskell, M. G. (2021). Timing storytime to maximize children’s ability to retain new vocabulary. Journal of Experimental Child Psychology, 210, 105207. https://doi.org/10.1016/j.jecp.2021.105207
Henderson, L. M., & James, E. (2018). Consolidating new words from repetitive versus multiple stories: Prior knowledge matters. Journal of Experimental Child Psychology, 166, 465–484.
James, E., Gaskell, M. G., & Henderson, L. M. (2020). Sleep-dependent consolidation in children with comprehension and vocabulary weaknesses: It’ll be alright on the night? Journal of Child Psychology and Psychiatry, 61, 1104–1115.
James, E., Gaskell, M. G., Weighall, A. R., & Henderson, L. M. (2017). Consolidation of vocabulary during sleep: The rich get richer?. Neuroscience and Biobehavioral Reviews, 77, 1–13.
Up, F. A. E. D. (2023). Jouet éducatif sans écran : succès pour les boites à histoires qui enchantent les enfants. Futura. https://www.futura-sciences.com/sante/actualites/enfant-jouet-educatif-ecran-succes-boites-histoires-enchantent-enfants-110039/
Walker, S., Gaskell, M. G., Knowland, V. C. P., Fletcher, F. E., Cairney, S. A., & Henderson, L. M. (2020). Growing up with interfering neighbours: The influence of time of learning and vocabulary knowledge on written word learning in children. Royal Society Open Science, 7 191597.
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