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La méfiance adolescente : une porte d’entrée vers la paranoïa ?

  • dyscothequepsycho
  • il y a 3 jours
  • 6 min de lecture

Étude longitudinale du rôle de la méfiance et de la psychopathologie générale dans le développement de la pensée paranoïaque


Synthèse de l’article : Catone, G., Senese, V. P., Pascotto, A., Pisano, S., & Broome, M. R. (2024). The developmental course of adolescent paranoia: A longitudinal analysis of the interacting role of mistrust and general psychopathology. European Child & Adolescent Psychiatry. https://doi.org/10.1007/s00787-024-02563-y

 

Synthèse rédigée par Shanice ELOISE, Master 1 Neuropsychologie, Université Paris 8 


Paranoïa adolescente : quand le doute envahit l’esprit des jeunes

Les adolescents traversent souvent des périodes de doutes envers les autres : "Pourquoi il m'a dit ça?”, “Est-ce qu’on parle de moi ?”. Chez certains, cette méfiance peut évoluer vers une véritable paranoïa. La paranoïa peut être définie comme une croyance irrationnelle selon laquelle on se sentirait constamment surveillé, jugé, ou manipulé (Freeman, 2016).

Période de bouleversements émotionnels, sociaux et psychologiques, la période de l’adolescence coïncide avec une augmentation de la sensibilité au rejet et la réactivité aux intentions d’autrui (Muñoz-Negro et al., 2019). Ainsi, bien que souvent associée aux troubles mentaux graves, la paranoïa peut se manifester chez les adolescents sous des formes plus légères, mais fréquentes (Freeman et al., 2011). Cette paranoïa est notamment associée à divers phénomènes psychologiques et sociaux (Bird et al., 2019, 2021) :

  • Des difficultés dans les relations sociales,

  • Une diminution du bien-être général,

  • Une augmentation de l’anxiété et des symptômes dépressifs,

  • Des manifestations de trouble de stress post-traumatique (TSPT),

  • Et des comportements d’autostimulation.

Mais quelle est l’origine cette paranoïa ? Pourquoi certains adolescents sont-ils plus enclins à vivre dans une réalité teintée de méfiance, alors que d’autres y échappent ?

La méfiance : une graine pouvant faire germer la paranoïa

Une méfiance excessive peut nuire à la construction des processus de soi, à la qualité des relations sociales et favoriser l’émergence d’idées paranoïaques (Wong et al., 2014). Les interactions sociales sont alors perçues sous un angle négatif où tout comportement d’autrui est interprété comme une menace ou un jugement. Cette méfiance se manifeste sur un spectre d’intensité variable tout au long de l’enfance et de l’adolescence (Zhou et al., 2018).

Au vu des éléments précédents, les chercheurs ont posé l’hypothèse que la paranoïa chez les adolescents n’est pas un phénomène isolé, mais résulte de l’interaction entre une méfiance naturelle et des troubles psychologiques plus larges.

Une étude longitudinale pour mieux comprendre l’évolution de la paranoïa 

Afin de tester cette hypothèse, les chercheurs ont suivi 739 collégiens italiens sur deux ans. La première vague d’évaluation (T1) s’est déroulée au cours de l’année scolaire 2015/2016. Les élèves étaient alors âgés de 10 à 12 ans. Deux ans plus tard, au cours de l’année scolaire 2017/2018, les mêmes élèves ont participé à la seconde phase d’évaluation (T2).

            Lors des deux temps d’évaluation, les élèves ont rempli plusieurs auto-questionnaires destinés à mesurer leur niveau de méfiance envers les autres, leurs pensées paranoïaques et leur psychopathologie générale :

  1. La méfiance envers les autres, évaluée par la Social Mistrust Scale (SMS), permet d’obtenir un score total de méfiance et se décline en trois sous-dimensions : la méfiance à la maison, la méfiance à l’école et la confiance générale. Il comprend 12 items notés sur une échelle à trois niveaux (Non / Parfois / Oui), tels que ces questions relatives à la méfiance : « Penses-tu que les autres essaient de te faire du mal à la maison/à l’école ? » et « Penses-tu parfois que quelqu'un te suit ou t’espionne à la maison/à l’école ? ».

  2. Les pensées paranoïaques, mesurées à l’aide de la sous-échelle de paranoïa du Specific Psychotic Experiences Questionnaire (SPEQ). Ce questionnaire est composé de 15 items auxquels les participants répondent sur une échelle de Likert en six points (de 0 = “pas du tout” à 5 = “tous les jours”).

  3. La psychopathologie générale, évaluée à l’aide de la version italienne du Strength and Difficulties Questionnaire (SDQ). Ce questionnaire comprend 25 items et examine cinq domaines différents : symptômes émotionnels, problèmes de conduite, problèmes d'hyperactivité et d'inattention, problèmes avec les pairs, comportement prosocial. Chaque item est noté sur une échelle en trois points (0 = “pas vrai”, 1 = “plutôt vrai", 2 = "certainement vrai”).

Cette approche permet de comprendre l’évolution de la paranoïa chez les adolescents, en observant comment la méfiance et la psychopathologie générale interagissent au fil du temps.

Interaction entre méfiance et psychopathologie : un cercle vicieux

En accord avec les études antérieures (Wong et al., 2014; Zhou et al., 2018), les résultats montrent que la plupart des enfants rapportent un faible taux de méfiance (14,6% rapportent une méfiance élevée).

La méfiance précoce chez les adolescents est un prédicteur de la paranoïa future. En effet, lorsque la méfiance est associée à des troubles émotionnels et relationnels au premier temps de mesure (T1), le risque d’apparition de la pensée paranoïaque est plus important au second temps de mesure (T2).  

Les auteurs estiment que leurs résultats soutiennent les conclusions d’une étude qualitative antérieure portant sur la trajectoire de développement de la paranoïa chez 12 adolescents (âgés de 11 à 17 ans). Cette trajectoire suit trois moments clés : (1) la découverte de la menace et de la vulnérabilité, marquée par une perte progressive de confiance envers les pairs, (2) l’expérience de la paranoïa, caractérisée par une méfiance accrue et une difficulté à accorder sa confiance, (3) l’adaptation à la paranoïa, se traduisant par un isolement progressif (Bird et al., 2022). Cette dynamique, renforcée par la psychopathologie générale, crée un cercle vicieux difficile à briser (Bell & O’Driscoll, 2018).

Prévenir le pire : des clés pour comprendre et agir 

La paranoïa évolue sur un continuum : chacun peut se situer à un niveau différent, de la simple méfiance à des formes plus marquées. Cette recherche montre que l’on peut progresser sur ce spectre selon son développement, et que la méfiance, qu’elle soit isolée ou associée à une psychopathologie plus large, pourrait constituer un précurseur potentiel des pensées paranoïaques.

            Sur le plan clinique, ces conclusions offrent des pistes pour améliorer l’identification précoce et la prévention de la psychose ainsi que d’autres troubles mentaux. La méfiance, surtout lorsqu’elle est associée à des symptômes de problèmes émotionnels et de relations sociales, devrait être au centre des interventions psychothérapeutiques pour prévenir la paranoïa. Elle pourrait également servir de signal d’alerte pour identifier les jeunes nécessitant un suivi renforcé et des approches thérapeutiques adaptées.

Enfin, enseignants et parents doivent prendre au sérieux une méfiance excessive (e.g., « tout le monde est contre moi ») car elle peut refléter un mal-être plus profond. En agissant tôt, il est possible de limiter l’impact de ces troubles sur la vie sociale, scolaire et psychologique des adolescents tout en favorisant leur bien-être.


RÉFÉRENCES

Bell, V., & O’Driscoll, C. (2018). The network structure of paranoia in the general population. Social Psychiatry and Psychiatric Epidemiology, 53(7), 737‑744. https://doi.org/10.1007/s00127-018-1487-0

Bird, J. C., Evans, R., Waite, F., Loe, B. S., & Freeman, D. (2019). Adolescent Paranoia: Prevalence, Structure, and Causal Mechanisms. Schizophrenia Bulletin, 45(5), 1134‑1142. https://doi.org/10.1093/schbul/sby180

Bird, J. C., Fergusson, E. C., Kirkham, M., Shearn, C., Teale, A.-L., Carr, L., Stratford, H. J., James, A. C., Waite, F., & Freeman, D. (2021). Paranoia in patients attending child and adolescent mental health services. Australian & New Zealand Journal of Psychiatry, 55(12), 1166‑1177. https://doi.org/10.1177/0004867420981416

Bird, J. C., Freeman, D., & Waite, F. (2022). The journey of adolescent paranoia: A qualitative study with patients attending child and adolescent mental health services. Psychology and Psychotherapy: Theory, Research and Practice, 95(2), 508‑524. https://doi.org/10.1111/papt.12385

Freeman, D. (2016). Persecutory delusions: A cognitive perspective on understanding and treatment. The Lancet Psychiatry, 3(7), 685‑692. https://doi.org/10.1016/S2215-0366(16)00066-3

Freeman, D., McManus, S., Brugha, T., Meltzer, H., Jenkins, R., & Bebbington, P. (2011). Concomitants of paranoia in the general population. Psychological Medicine, 41(5), 923‑936. https://doi.org/10.1017/S0033291710001546

Muñoz-Negro, J. E., Prudent, C., Gutiérrez, B., & Cervilla, J. A. (2019). Paranoia and risk of personality disorder in the general population. Personality and Mental Health, 13(2), 107‑116. https://doi.org/10.1002/pmh.1443

Wong, K. K., Freeman, D., & Hughes, C. (2014). Suspicious young minds: Paranoia and mistrust in 8- to 14-year-olds in the UK and Hong Kong. The British Journal of Psychiatry, 205(3), 221‑229. https://doi.org/10.1192/bjp.bp.113.135467

Zhou, H., Wong, K. K.-Y., Shi, L., Cui, X., Qian, Y., Jiang, W., Du, Y., Lui, S. S. Y., Luo, X., Yi, Z., Cheung, E. F. C., Docherty, A. R., & Chan, R. C. K. (2018). Suspiciousness in young minds : Convergent evidence from non-clinical, clinical and community twin samples. Schizophrenia Research, 199, 135‑141. https://doi.org/10.1016/j.schres.2018.03.027

Illustration : Freepik

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