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Neurosciences des apprentissages : Du laboratoire à la salle de classe

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Dernière mise à jour : 10 janv.

Une recherche collaborative pour la diffusion des savoirs : L’entraînement au contrôle inhibiteur par les enseignant·e.s


Synthèse de l’article : Letang, M., Citron, P., Garbarg Chenon, J., Houdé, O. & Borst, G. (2020). Bridging the Gap between the Lab and the Classroom: An Online Citizen Scientific Research Project with Teachers Aiming at Improving Inhibitory Control of School Age Children. Mind, Brain, and Education, 15(1), 122-128. https://doi.org/10.1111/mbe.12272

Synthèse rédigée par Maëliss ROUSSEAU et Maëlle BOLZE. Master 1 Psychologie du Développement, Université Paris 8.

 

Le contrôle inhibiteur, clé des apprentissages

Diamond (2013) définit les fonctions exécutives comme un ensemble de processus mentaux intervenant dans les tâches qui nécessitent de se concentrer, lorsque faire appel à son intuition ou à une réponse automatique ne suffit pas, voire est impossible. Les fonctions exécutives sont donc particulièrement importantes à l’école. Elles prédiraient la réussite scolaire dès l’école maternelle, et de faibles performances exécutives seraient associées à l'adoption de comportements antisociaux (Ogilvie et al., 2011).  Le contrôle inhibiteur est l’une d’elles. Il s’agit de la capacité à supprimer les réponses habituelles ou dominantes lorsqu’elles ne sont pas adaptées. Le contrôle inhibiteur serait associé à l’émergence des capacités de lecture et de mathématiques chez les enfants d’âge préscolaire (Blair & Razza, 2007) et prédirait le succès académique et professionnel (Moffitt et al., 2011). De plus, il semble que le contrôle inhibiteur peut être amélioré par des entraînements intégrés aux activités scolaires, à l’image du programme Tools of the Mind développé par Diamond et collaborateurs en 2007.

Une étude collaborative : des enseignant·es comme co-chercheur·es

Constat de départ et objectifs

En 2020, Letang et collaborateurs font le constat d’un fossé entre les découvertes des neurosciences, dont l’accessibilité n’est pas toujours garantie au grand public, et leur applicabilité au contexte scolaire et à ses contraintes. Leur équipe met alors en place un protocole de recherche collaborative dans lequel des enseignant·es volontaires occupent la place de co-chercheur·es. Ce genre de protocole a déjà été utilisé pour entraîner les fonctions exécutives d’enfants à l’école maternelle mais les enseignant·es n’intervenaient pas dans la création du matériel (Duncan et al., 2018 ; Traverso et al., 2019). Cette étude est donc la première à mettre à contribution les enseignant·es à chaque étape du protocole de recherche, du design des outils à la supervision des entraînements et au recueil des données. Les chercheur·es font l’hypothèse d’un effet bénéfique de l’entraînement au contrôle inhibiteur créé et mené par les enseignant·es recruté·es sur les performances de leurs élèves.

L’objectif est double. Premièrement, déterminer l’efficacité d’un entraînement au contrôle inhibiteur dispensé par des enseignant·es (supervisé·es à distance grâce à une plateforme numérique) à travers des activités scolaires qu’ils/elles ont eux-mêmes créées. Deuxièmement, assurer un meilleur transfert des savoirs neuroscientifiques au contexte scolaire tout en mettant à profit l’expertise de terrain des enseignant·es. Les chercheur·es visent ainsi à déterminer dans quelle mesure ce type de protocole est fiable pour la recherche scientifique.

Mise en œuvre du dispositif

La plateforme www.lea.fr (Nathan©) a permis de recruter 48 enseignant·es d’écoles primaires publiques francophones. Ces dernier·es ont été formé·es au concept de contrôle inhibiteur, puis ont défini, sous la supervision des chercheur·es, les hypothèses et objectifs de l’étude et créé les activités d’entraînement. Le programme s’est déroulé sur 5 semaines, avec une séance d’entraînement de 10 minutes par jour, 4 jours par semaine. La totalité des activités avait lieu en classe. Au total, 1049 élèves, âgé·es de 7 à 12 ans et scolarisé·es du CE1 au CM2 ont participé à l’étude. Les neuf activités étaient dérivées de jeux comme le Jacques a dit ou le Jungle Speed, conçues pour solliciter le contrôle inhibiteur des élèves, qui devaient supprimer une réponse prépotente pour gagner la partie. Elles leur ont été présentées comme des jeux d'entraînement pour le cerveau. Les élèves étaient assigné·es aléatoirement et sans le savoir au groupe test (qui recevait l’entraînement au contrôle inhibiteur) ou au groupe contrôle (qui pratiquait les mêmes activités, mais modifiées de manière à ne pas mobiliser le contrôle inhibiteur). Pendant l'entraînement du premier groupe, le second travaillait en autonomie sur des activités scolaires et inversement.

Une tâche de Stroop papier-crayon a été utilisée pour mesurer l’effet de l’entraînement sur le contrôle inhibiteur, avant et après les 5 semaines d’entraînement. La tâche consistait à dénommer la couleur de l’encre (rouge, verte, jaune ou bleue) de noms de couleurs (“ROUGE”, “VERT”, “JAUNE” ou “BLEU”) en écrivant la première lettre de ladite couleur sur une feuille de réponse. Par exemple, pour le mot “ROUGE” écrit à l’encre bleue, il fallait écrire “B”. La couleur de l’encre et le mot étaient congruents (“ROUGE” écrit en rouge) ou incongruents (“ROUGE” écrit en bleu). Le contrôle inhibiteur intervient lorsque le nom de couleur et l’encore sont incongruents, puisque dans ce cas, dénommer la bonne couleur demande de bloquer la réponse automatique de lecture du mot.

Résultats principaux

Les capacités d’inhibition sont mesurées par le score d’interférence, qui renvoie à la différence entre le nombre de bonnes réponses aux items congruents et incongruents. Plus ce score est bas, meilleure est l'inhibition. Avant l’entraînement, aucune différence n’avait été observée entre les scores d’interférence des deux groupes, c’est-à-dire que leurs capacités d’inhibition étaient similaires. Après l’entraînement, le score d’interférence du groupe test a diminué tandis que celui du groupe contrôle est resté le même. Ces résultats semblent donc indiquer un effet bénéfique de l’entraînement sur les capacités d’inhibition des élèves.

Ce qu’il faut retenir

Ainsi, il semble que le contrôle inhibiteur des élèves du groupe test se soit amélioré. Le programme d’entraînement développé par les enseignant·es parait donc efficace. Le point fort de ce dispositif est l’implication volontaire et soutenue des enseignant·es. Il démontre que la collaboration entre neurosciences et éducation est non seulement possible mais également bénéfique pour tous les acteur·ices impliqué.es.

Trois grandes limites ressortent de cette étude. Premièrement, bien que les auteur·es apportent des preuves de l’efficacité du dispositif sur le contrôle de l’interférence, cet effet n’a pas été étudié sur les autres processus impliqués dans le contrôle inhibiteur. De plus, malgré la formation dispensée en amont aux enseignant·es, il est possible qu’un effet d'attente de l’expérimentateur·ice affecte la fiabilité des résultats. En effet ces dernier·ère·s connaissant la répartition de leurs élèves dans les groupes, ils/elles ont pu être influencé·e·s au moment de la cotation de l’évaluation post-test. Les auteur·e·s auraient pu faire appel à un·e expérimentateur·ice extérieur·e pour réaliser cette partie du travail et limiter ce biais.. Enfin, cette étude n’a pas mesuré l’effet de transfert sur les apprentissages, les activités ou le climat en classe. Il n’y a donc pas de preuve directe d’un apport pour les apprentissages et l’éducation. De futures études sont donc nécessaires afin de compenser ces limites.

Cette étude est la première en France à fournir la preuve que les enseignant·es peuvent participer de manière active et efficace aux dispositifs expérimentaux en adoptant la place de co-chercheur·es. La science citoyenne semble donc être une piste pour l’appropriation des savoirs neuroscientifiques par les enseignant·es et leur diffusion du laboratoire à la salle de classe.

 

Références

Blair, C., & Razza, R. P. (2007). Relating effortful control, executive function, and false belief understanding to emerging math and literacy ability in kindergarten. Child development, 78(2), 647-663. https://doi.org/10.1111/j.1467-8624.2007.01019.x

Borst, G., Aïte, A., & Houdé, O. (2015). Inhibition of misleading heuristics as a core mechanism for typical cognitive development: Evidence from behavioural and brain-imaging studies. Developmental Medicine and Child Neurology, 57(s2), 21–25. https://doi.org/10.1111/dmcn.12688

Diamond, A. (2013). Executive functions. Annual Review of Psychology, 64, 135–168.  https://doi.org/10.1146/annurevpsych-113011-143750

Diamond, A., Barnett, W. S., Thomas, J., & Munro, S. (2007). Preschool program improves cognitive control. Science, 318, 1387–1388. https://doi.org/10.1126/science.1151148

Duncan, R. J., Schmitt, S. A., Burke, M., & McClelland, M. M. (2018). Combining a kindergarten readiness summer program with a self-regulation intervention improves school readiness. Early Childhood Research Quarterly, 42, 291–300. https://doi.org/10.1016/j.ecresq.2017.10.012

Letang, M., Citron, P., Garbarg Chenon, J., Houdé, O. & Borst, G. (2020). Bridging the Gap between the Lab and the Classroom: An Online Citizen Scientific Research Project with Teachers Aiming at Improving Inhibitory Control of School Age Children. Mind, Brain, and Education, 15(1), 122-128. https://doi.org/10.1111/mbe.12272

Olgivie, J. M., Stewart, A. L., Chan, R. C. K. & Shum, D. H. K. (2011). Neurological Measures of Executive Function and Antisocial Behavior : a Meta-Analysis. Criminology, 49(4), 1063-1107. https://doi.org/10.1111/j.1745-9125.2011.00252.x

Moffit, T. E., Arseneault, L., Belsky, D., Dickson,N., Hancox, R. J., Harrington, H., Houts, R., Poulton, R., Roberts, B. W., Ross, S., Sears, M. R., Thomson, W. M. & Caspi, A. (2011). A gradient of childhood self-control predicts health, wealth, and public safety. Proceedings of the National Academy of Sciences, 108(7), 2693–2698. https://doi.org/10.1073/pnas.1010076108

Traverso, L., Viterbori, P., & Usai, M. C. (2019). Effectiveness of an executive function training in Italian preschool educational services and far transfer effects to pre-academic skills. Frontiers in Psychology, 10, 1–15. https://doi.org/10.3389/fpsyg.2019.02053


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